Inspirée d'une authentique affaire criminelle – un certain Woyzeck avait, en 1821, tué par jalousie sa compagne à coups de couteau – la pièce de Büchner échappe, par son caractère fragmentaire, à toute organisation saisissable. Woyzeck tue Marie, « belle comme le péché » ; mais ce n'est qu'une facette du prisme : la détresse sociale, le drame passionnel sont comme irradiés par une douleur, un mal plus profonds et ce sont « les tressaillements de la vie la plus humble » que cette ‹ ballade › tragique nous restitue. Misérable fusilier, Woyzeck est le premier homme de peu à figurer ainsi au coeur d'une fiction dramatique ; mais ce coeur, il le fuit : humilié par le capitaine et le médecin, Woyzeck court, d'un gagne-pain à l'autre, soumis à une urgence aussi vaine que fatale, et nous conduit au bord d'un précipice de pensée : « L'homme est un abîme, on a le vertige quand on se penche dessus ». Coup de génie d'un météore qui mourra quelques mois plus tard en 1837, à l'âge de 23 ans. La parole enfiévrée des personnages de Büchner sied à l'ardeur et à l'audace de cette compagnie, finaliste en 2014 du Prix Théâtre 13 / Jeunes metteurs en scène, avec Jeux de massacre de Eugène Ionesco.