L'exigence du propos, la clarté de l'expression ne suffisent pas. Au théatre, acteurs et spectateurs doivent être réunis sous le signe du plaisir. Sur ce point rien ne sépare Brecht de Molière. Les jeunes acteurs qui, au Conservatoire, ont travaillé la pièce avec moi, sont entrés dans le jeu de massacre de Brecht avec un appétit et un entrain sans mélange. Dans cette noce farcesque des années vingt, rien ne semblait leur être tout à fait étranger et pourtant ils tiraient dans le tas avec une rare jubilation. Je voudrais interroger plus avant cette proximité, cette parenté... à la limite qu'on en vienne à reconnaître les petits-bourgeois de Bertolt Brecht comme nos aïeux, nos pères et mères, nos frères, nos soeurs : nous-mêmes, pourquoi pas ? Oui, nous, comme tout un chacun, petits-bourgeois-dans-l'âme, surpris en famille et en pleine noce, soit au coeur du corps social et précisément au moment où vient de s'accomplir un acte symboliquement crucial. Bien sûr la machination satirique de Brecht, le carnage vu à la loupe avec gestus, mimiques et inflexions ad hoc ne manquera pas d'opérer. Mais de qui se moque-t-on ? Après tout, est-ce bien avec la petite-bourgeoisie que Brecht règle ses comptes ? Rien de moins sûr et c'est sans doute pourquoi la pièce va plus loin que son projet manifeste en mettant en jeu notre condition d'êtres humains, parlants, mortels et sexués.