Moscou- 1943, Prague- 1951, Union Soviétique, Tchécoslovaquie, ces mots évoquent pour nous un autre monde. Ce qui s'y passe, se passe dans un ailleurs lointain. Nous pensons leur histoire extérieure à la nôtre. Or il devient évident que nous aussi nous avons fabriqué le présent de l'Union Soviétique ou de la Tchécoslovaquie, que leur histoire est aussi la nôtre et
qu'il est grand temps de nous la réapproprier si nous voulons comprendre plus avant le fonctionnement de notre monde. «Nadia» ne se propose ni de montrer, ni d'expliquer ce type de préoccupation, cette urgence. Elle est déjà un pas au-delà. Elle parle dans la Tchécoslovaquie d'aujourd'hui de la Tchécoslovaquie d'hier et d'aujourd'hui, non pas pour décrire aux «étrangers» que nous serions alors ce qu'ils voient déjà ou pourquoi ils voient ce qu'ils voient mais elle parle et agit pour elle, sans préoccupation extérieure. Oublieuse et aveugle, comme beaucoup, et, comme tous, à la recherche de son propre regard, de sa propre mémoire. Aussi fragmentaire, aussi partielle; aussi imprécise et subjective soit-elle, l'histoire ainsi retrouvée ne sera-t-elle pas alors plus encore l'histoire que celle que les institutions spécialisées enseignent. Le temps nous apprend à deviner, sous l'objectivité affirmée de l'histoire officielle, censure et scotomisation. Toute tentative totalisante de lire l'histoire y est vouée. «Nadia», elle, essaie de retrouver des gestes, des objets, des sons (plus que des mots), des sensations, quitte même à les inventer au besoin, afin de naître à nouveau à sa propre histoire d'où elle s'est trouvée exclue. « Nadia » se présente donc comme un essai sur la mémoire et l'histoire; l'histoire individuelle et l'histoire
collective; l'histoire tout court; la fascination que «la vérité historique» exerce sur nous. Comme une sorte de mirage, toujours ailleurs, plus loin, toujours recherchée et à jamais perdue. • Jean-Claude Fall