Tel Dante qui dans sa Divine Comédie va à la rencontre des morts, le héros-écrivain du Naufrage du Titanic sombre dans un chaos où le vacillement des espérances intimes se mêle à l'évocation de la catastrophe. L'iceberg, prêt à éperonner ses rêves, impassiblement passe et repasse sur ses illusions, le glaçant et le brûlant tout à la fois ; et lui-même met en scène son propre naufrage avec l'ironie d'un condamné à mort. Hans Magnus Enzensberger est un des écrivains majeurs de l'Allemagne d'aujourd'hui. Son Naufrage du Titanic est une odyssée moderne qui nous entraîne dans les grandes faillites du XXème siècle, à la recherche de leurs victimes. C'est aussi une comédie où l'humour, comme un hameçon ferré en notre bouche ainsi qu'en celle du poisson, tient notre visage hors de l'eau entre douleur et survie. Il suggère qu'il nous faut regarder en face la catastrophe, en une fin de siècle qui promet sécurité, prospérité et progrès alors que s'accumulent les ruines à ses pieds et que croît notre dénuement intérieur. Il murmure que nous devons tirer parti de cette contemplation et, à la manière de Kafka, faire obstacle à cette mer de glace qui est en nous. Les artistes ne savent rien sur l'origine des naufrages. Mais ils savent qu'on ne transige pas avec l'iceberg... Que peut-on faire quand l'iceberg a touché nos consciences ? Que peut-on aux lois de la pesanteur si toute tentative de flottaison court à l'échec ? Il faut peut-être lâcher prise. Seule reste la nage-sans-savoir-être, ce mouvement de brasse innocent qui s'appelle vivre.