Administrateur de la Compagnie Grenier-Hussenot de 1945 à 1960, Jacques Derlon a collaboré avec de nombreux lieux : au théâtre (Gaité-Montparnasse, Comédie des Champs-Élysées, Renaissance, Porte St-Martin, Fontaine, Ambigu, Marigny), au music-hall (ABC), au cirque (Médrano) et dans de nombreux lieux de la vie nocturne parisienne (La Rose Rouge, La Fontaine des Quatre-Saisons, Chez Gilles). Dans les années soixante, il crée également avec Pierre Prévert l’Atelier Prévert-Derlon, studio d’essai sur le film de court-métrage comique rattaché au service de l’O.R.T.F et qui exista jusqu’en 1968.
" Hiver 1970 : Jean-Marie Serreau et Jacques Derlon sont expulsés du grenier d'un cinéma, le Gaumont Palace de la Place de Clichy. Ils prennent tous deux connaissance de l'existence de la Cartoucherie (…) et décident, en compagnie de Huguette Faget, de venir s'y installer, dans un hangar disponible. (…) Le nouvel hôte de la Cartoucherie prend le nom de Théâtre de la Tempête, en hommage à la fois à Shakespeare et à Aimé Césaire " (Josette Féral). Lorsque Jean-Marie Serreau meurt, en 1973, Jacques Derlon (qui était alors administrateur du théâtre) reprend la direction de la Tempête : " J'ai fait alors une proposition au ministère des Affaires culturelles et à la Ville de Paris : accueillir des troupes de théâtre, en choisissant non pas des spectacles, mais des partenaires. Pour moi, le théâtre, c'est la vie des artistes, de ceux qui sont des découvreurs."
"Le fauteuil d'or", prix destiné à récompenser tous les ans une institution théâtrale pour « l'originalité et la qualité » de sa programmation, a été attribué en juin 1991, par un jury de 9 critiques dramatiques, au Théâtre de la Tempête.
Interview de Jacques Derlon // propos recueillis par Monique Clerc
Le bois de Vincennes… Du Rond-Point de la Pyramide, une allée part vers le lac des Minimes. A gauche, une sorte d'entrée d'usine. On lit : Cartoucherie. On entre, Et l'on découvre un espace étrange, où les vestiges du passé – les bâtiments de l'ancienne cartoucherie – sont investis et revifiés par une nouvelle forme de production : la création théâtrale. Le Thêâtre de La Tempête occupe l'un de ces hangars : restaurés, mais non dénaturés, et conservant la "mémoire" du lieu. Jacques Derlon, directeur de ce théâtre [de 1973 à 1995], en retrace l'histoire.
Jacques Derlon – C'est le Théâtre du Soleil qui s'est installé le premier à la Cartoucherie. Ariane Mnouchkine cherchait un lieu pour répéter 1789. Elle a trouvé ces bâtiments, alors fort vétustes, et a obtenu l'autorisation de la Ville de Paris d'occuper ces locaux. A l'époque, je travaillais avec Jan-Marie Serreau. Nous avons visionné un enregistrement vidéo des répétitions de 1789 et c'est ainsi que nous avons découvert ce lieu et les autres bâtiments disponibles.
M.C. – Quel a été le premier spectacle du théâtre de la Tempête donné à la Cartoucherie ?
J. D. – C'était, en 1971, une adaptation de La chasse au Snark, de Lewis Carroll. Au départ, ce lieu a été utilisé dans le cadre de son association avec Jean-Marie Serreau, l'homme de théâtre que l'on connaît, le découvreur de Roger Blin, Beckett, Adamov, Ionesco, etc. J.-M. Serreau a, malheureusement présenté ici son dernier spectacle, en 1973, et a été ensuite foudroyé par la maladie. J'ai fait alors une proposition au Ministère des Affaires culturelles et à la ville de Paris : accueillir des troupes de théâtre, en choisissant non pas des spectacles, mais des partenaires. Cela ne leur donnant la possibilité d'utiliser ce théâtre comme si c'était le leur, pour la durée qu'ils souhaitaient - plusieurs années si possible.
M.C. – Il s'agit donc d'un théâtre de recherche, en quelque sorte ?
J. D. – Un théâtre d'essai, oui. Il fonde d'abord sa programmation sur de jeunes compagnies et sur des démarches non conformistes.
M.C. – En ce qui concerne les auteurs également ?
J.D. – Il y a là une grande variété. En effet, ces metteurs en scène et directeurs de compagnie ont, de temps à autre, choisi des pièces plus "classiques" (comme Shakespeare, Ibsen, Brecht, Molière, Adamov, Kakfa, Beckett, Kleist, Tchekov, etc.) car, à un moment donné, leur itinéraire passait par là. Il y a eu aussi l'accueil de célèbres compagnies étrangères comme le Bread and Puppet et la Cuadra de Séville.
M.C. – Mais même quand il s'agit de ces grands auteurs, n'y a-t-il pas une sorte de recréation ? Comme cela semble le cas pour L'Annonce faite à Marie dont la Tempête offre une très belle mise en scène ?
J.D. – "L'Annonce" c'est le résultat de la rencontre d'un metteur en scène – Philippe Adrien – et d'un auteur, Claudel. Cette rencontre a, en effet, produit une re-création. Ce qui devrait être la règle si l'on donne à ce mot son sens à la fois très limité et très exigeant. Limité, car avec un tel texte on a un matériau intangible. Mais, modestement, à travers son travail, le metteur en scène dit, avec plus ou moins de bonheur, ce qui lui semble le plus significatif dans l'œuvre. Il s'agit, parfois, de véritables découvertes, de révélation de ce qu'est profondément l'auteur à ce moment de son itinéraire. C'est le cas, je crois, pour L'Annonce mise en scène par Philipe Adrien.
M.C. – Le théâtre, pour vous, c'est quoi, essentiellement ?
J.D. – Je ne suis pas du tout théoricien et me méfie des approches dogmatiques. Ce que l'on peut dire, tout simplement, c'est que le théâtre existe dans la cité depuis le début, et les périodes de prospérité de cette dernière coïncident souvent avec une intense création théâtrale. Pour moi le théâtre c'est la vie des artistes, de ceux qui sont des "découvreurs". Et puis le théâtre a une fonction de convivialité très importante dans la cité, encore plus de nos jours où la relation du public à l'art passe souvent par le statut de téléspectateur "inerte". Au théâtre, au contraire, on rencontre des hommes et des femmes et cela possède un caractère absolument irréductible à toute autre forme d'expression. Bien sûr, en termes statistiques, cela a toujours été "confidentiel". Mais ce qui est minoritaire est souvent le sel de la société...
Propos recueillis par Monique CLERC